|
"THE
SECRET LIFE OF DONALD FLATHER"
Written by Daniel Wood, Photographed by Ron
Watts.
 Paintings
reproduced in the Article:
Just click on the images to see them in detail.
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Il y a 4 ans, David Flather, alors âgé de 28 ans, se tenait
sur le pas de la porte de la maison de ses grands parents,
lorsqu'il se sentit soudain envahi par un sentiment étrange.
Sa grand-mère, Grace, venait juste de mourir. Son grand-père
s'en était allé en 1990. Avec l'aide de son oncle et de sa
tante, David s'apprêtait à commencer la lourde tache de vider
la maison encombrée par 54 années de vie. Son grand-père,
qui avait été professeur à Vancouver, accumulait plein de
choses comme un rat de bibliothèque. Sa grand-mère s'était
refusée à tout effort de rangement après le décès de son époux,
pensant qu'il était toujours dans les parages, partageant
encore les lieux avec elle. Dans un certain sens, elle ne
se trompait pas…
Les murs
de living- room étaient couverts de peintures de Donald Flather
- grands paysages abstraits qui semblaient si familiers à
David. Une demi-douzaine de peintures étaient alignées devant
la cheminée, tel un pare-feu - Dans le couloir, dans la salle
à manger, dans les chambres à coucher, chaque mur était couvert
de toiles de son grand-père. Lorsqu'il poussa la porte de
l'atelier où il venait souvent voir son aïeul travailler,
il marqua alors une pause sur le seuil et se demanda : " Où
suis-je donc en train de mettre les pieds ? " Des douzaines
de peintures encadrées posées sur leur tranche, remplissaient
toute la pièce d'un mur à l'autre. Elles s'entassaient les
unes contre les autres, et sur les étagères accrochées aux
murs, il y avait des centaines de racks à diapositives, posés
à côté des photos des voyages du grand-père Flather ; tout
ça empilé parmi la collection des livres d'art moisis. Dans
le coin de la pièce près de la fenêtre Nord il y avait le
chevalet du Dr Flather. David se rendit soudain compte que
c'était bien la première fois qu'il n'y avait pas de toile
posée dessus ! Lorsqu'il était un jeune garçon, il se tenait
souvent à côté du chevalet pour regarder son grand-père travailler
: chauve, bien portant, vêtu d'une blouse pour éviter les
éclaboussures de peinture et toujours intensément concentré
sur son art. Ses coups de pinceau étaient à la fois assurés
et légers. David raconte aujourd'hui " qu'il savait instinctivement
ce que ferait le pinceau au moment où celui-ci atteignait
la toile ".
Son oncle,
Barrie Flather qui habitait dans le Surrey, diplômé en médecine
de l'Université de Colombie Britannique, finit par rejoindre
David dans la maison. Il dit à son neveu qu'il y avait encore
des centaines de toiles dans la cave de la maison ! Il y en
avait partout. C'était incroyable. C'était en même temps un
vrai dilemme : la maison allait être vidée, et son contenu
finirait par être complètement dispersé. Donald Flather était
un artiste complètement inconnu, un homme modeste qui a toujours
évité sa promotion personnelle ou toute autre forme de publicité.
Il ne savait même pas s'il avait vendu 2 ou 3 toiles dans
toute sa vie ! Il n'avait jamais parlé de son passe-temps
et avait rarement pris la peine de montrer son travail, même
à sa famille. Il avait souvent simplement terminé un paysage
et l'avait stocké rapidement dans l'obscurité anonyme du sous-sol.
Mais aujourd'hui, toutes ces peintures semblaient bien trop
belles à David pour être détruites ! Y avait-il un marché
pour elles ? Est-ce qu'une galerie pourrait s'y intéresser
? Et comment D. Flather pouvait t'il s'insérer dans le Mouvement
de la Peinture canadienne de l'Ouest ? Accablé par le nombre
de peintures et inspiré par leur similitude avec celles du
Groupe de Sept, David se décida alors à sauver la collection
en péri.
Flather
est né en 1903 à Londres, Angleterre. Il a émigré encore enfant
avec ses parents au Canada, alors membres du Mouvement Pilote
des Colons de Barr, qui s'installèrent au début dans les Grandes
Prairies, puis dans une propriété fruitière au bord du lac
Shuswap en Colombie Britannique, où sa fascination perpétuelle
pour la nature a été entretenue au fil du temps. Dans les
années 20, sa famille s'est déplacée à Vancouver pour y diriger
une pépinière. Il y a rencontré son épouse, Grace, une étudiante
en Economie Domestique, et en 1927 il a commencé à enseigner
en classe secondaire la Biologie et les Sciences. Le couple
a eu trois fils. Barrie, l'un d'eux, se rappelle que lorsqu'il
était enfant, ses parents l'entraînaient dans de longs et
interminables périples dans la nature pour ramasser - selon
ses mots : " toutes sortes de fossiles incroyables ". La maison
familiale qui se trouvait sur le Boulevard Est dans le quartier
de Kerrisdale à Vancouver s'emplissait ainsi progressivement
de tous ces objets qui venaient grossir ainsi la collection
hétéroclite de D. Flather : des ossements d'animaux, des lames
d'examen pour microscope avec des amibes, des squelettes trouvés
sur les routes, des fossiles, des cailloux, des champignons,
et des coquillages. Le volume important de tous ces spécimens
bizarres heurtait progressivement le sens de l'ordre de Grace,
son épouse.
Barrie
se souvient encore de son père travaillant dans son atelier
à l'étage supérieur de la maison : un projecteur avec un paysage
provenant d'une récente excursion dans la campagne, et lui
s'appliquant religieusement à retravailler l'image projetée
sur masonite. Il pouvait voir comment son père prenait des
libertés avec la réalité, transformant la scène de manière
surréaliste. A cette époque, aux environs du début des années
40, ces noms étaient prononcés occasionnellement dans la maison
: Lawren Harris, Fred Varley, W.P. Westo, Emily Carr, Jack
Shadbolt, A.Y. Jackson, mais ne signifiaient rien du tout
pour lui. C'étaient des relations de son père qui était alors
le Trésorier-Secrétaire de la Fédération des Artistes Canadiens.
Mais Barrie n'avait encore jamais entendu parler du Groupe
des Sept.
Alors
que l'Art Européen et l'Art Américain avaient subi une transformation
énorme durant les 20 dernières années du 19 ème siècle et
les 20 premières du 20 ème, le Canada restait très attaché
à son ancien esprit colonialiste, ses peintres battant la
campagne pour continuer à peindre des paysages réalistes selon
cette formule trop classique : romantiques, grandioses et
vieux jeux. Or, l'art, a toujours été sensé faire évoluer
l'intellect collectif. En 1920, un groupe d'amis composé de
sept jeunes artistes canadiens a tenu une exposition à Toronto
qui a défié toutes les conventions. Influencé par l'Impressionnisme
français, le Cubisme, l'Art Nouveau, et le Mysticisme des
paysages du Nord de la Scandinave, le Groupe de Sept a proclamé
qu'il " allait s'employer à développer une image très particulière
de l'Art canadien ! " … Dégoûtés par les paysages traditionnels
insipides du modèle académique britannique. Pendant une longue
période, ils ont peint l'Ontario, mais bien vite ils se sont
fatigués des paysages sans relief du centre canadien. Vers
1928, quatre membres du Groupe de Sept firent des pèlerinages
annuels d'été en Colombie Britannique. Un cinquième membre,
Fred Varley, qui avait déménagé en 1926 dans la vallée de
Lynn au Nord de Vancouver, avait déjà commencé à y enseigner
l'Art. Ils furent alors tous attirés par les paysages grandioses
des provinces de l'ouest du pays, dominés par la verticalité
des immenses forêts, la répétition rythmée des cimes des arbres,
les nuages fabuleux, et par les villages côtiers indiens en
voie d'abandon.
Lawren
Harris, qui était l'artiste le plus influent du Canada, a
apporté ses idées novatrices en Colombie Britannique en 1924,
surtout lorsqu'il a commencé ses excursions régulières dans
les Rocheuses. Il s'est installé définitivement à Vancouver
en 1940. A l'instar de plusieurs autres membres du Groupe
des Sept, Harris a été profondément influencé par la Spiritualité,
une croyance mystique alors à la mode au début du siècle et
qui, tel l'animisme, prônait le fait que le spirituel est
présent dans toute chose. Les massives montagnes enneigées
de la Colombie Britannique, réduisaient au nanisme les intrus
humanoïdes, leur prouvant ainsi que la terre en elle-même,
était divine. Les peintures de Harris - aux paysages taillés
à la serpe - devinrent la métaphore d'une vérité archétype
: les crêtes des montagnes sont devenues des triangles abstraits,
symbolisme du paradis ; les nuages adoptèrent d'emblématiques
formes ovales de soucoupes volantes, les flèches aériennes
des forêts ont frôlé la transcendance, un tronc d'arbre brûlé
représentait à la fois la mort et la rédemption. Dans ses
toiles, la campagne, la terre étaient primordiales : c'était
l'endroit où la nature et l'esprit communiaient.
Son influence
sur les artistes de Colombie Britannique fût énorme. Il encouragea
Emily Carr à continuer peindre en 1927, en dépit d'années
de rejet de la part de la communauté artistique canadienne.
Elle utilisa ses pinceaux et couleurs jusque peu avant sa
mort en 1945. W.P. Weston, spécialiste des paysages, alors
artiste le plus connu de Colombie Britannique et professeur
d'Art, a ainsi appris avec lui à simplifier la complexité
écrasante des paysages de sa province. Il se chamaillait souvent
avec passion avec le jeune peintre Jack Shadbolt qui lui reprochait
" que la religiosité symbolique de ses paysages était trop
géométrique et trop simpliste ". En réponse à ces disputes,
Shabolt faisait des peintures très réalistes. Harris organisait
souvent des soirées musicales dans sa maison du quartier de
Kitsilano à Vancouver. Il faisait de nombreuses promenades
à cheval et des excursions à pieds afin croquer les paysages
côtiers aux abords de sa ville.

Cette photo de Bess Harris et Grace Flather, toutes deux assises
prenant le thé, a été prise en 1949 à la Fédération des Artistes
Canadiens, Bert Binnings.
C'était
dans ce contexte, que Donald Flather, simple peintre amateur,
s'est vu offrir par Lawren Harris en 1941, l'opportunité de
fonder avec lui l'Association des Artistes Canadiens dont
il devint le trésorier-secrétaire. À cette époque-là il y
n'y avait à Vancouver ou à Victoria, sur l'île de Vancouver,
aucune galerie commerciale exposant de l'Art Contemporain.
La Colombie Britannique était une province exportant ses ressources,
notamment la main d'œuvre d'ouvriers, fière de ses principes
rigides d'autosuffisance à la mode britannique. Des peintres
confirmés comme Emily Carr, ont vécu dans la pauvreté. Jack
Shadbolt se souvient d'elle, lui tendant deux de ses toiles
à bout de bras en disant : " Tu peux m'acheter l'une ou l'autre
pour 15 $ !… Il a refusé, et préféra s'acheter un livre d'art
à la place ! Il repense souvent à cette ironie du sort, car
s'il avait acheté cette toile à Emily, il aurait eu aujourd'hui,
un retour sur investissement de l'ordre de 500 000 % !
Les paysages
de Flather laissaient voir l'influence de Harris, Carr, et
Weston, qui eux, avaient commencé à apparaître dans les catalogues
des oeuvres des artistes de Colombie Britannique exposées
annuellement à La Galerie d'Art de Vancouver. Les catalogues
faisaient aussi état des prix des toiles exposées : toutes
au dessous de 100 $, peintes par des artistes inconnus tels
que Jack Shadbolt, Gordon Smith, Toni Onley, Jack Macdonald,
et Arthur Erickson, qui devinrent tous célèbres une génération
plus tard ! Les peintures de Flather n'avaient aucune indication
de prix. C'était comme s'il n'était absolument pas intéressé
par la vente des ses propres œuvres ! Vers 1950 - inexplicablement,
ses toiles ont complètement cessé d'être exposées.
Le travail
de Flather montre le même passage graduel du Réalisme à l'Impressionnisme
qui s'était déjà produit dans le Groupe des Sept une génération
plus tôt. Comme avec Varley, ses coups de pinceaux ont une
texture épaisse. Ses arbres s'envolent telles les forêts de
plumes et flammes d'Emily Carr. Sans sombrer dans la Spiritualité
exagérée de Harris - Flather était tout de même un membre
actif de l'église Ryerson à Kerrisdale et un professeur de
Sciences…Il commença alors à transformer ses paysages classiques
en formes abstraites : les arbres morts devinrent des bougies
éteintes, les bords des talus des pyramides inversées. Comme
Harris, il se révèle en peignant des ombres bleutées sur la
neige et des reflets de lumière chatoyants sur l'eau vive.
Ses nuages d'orage - comme Weston - deviennent des amas cotonneux
angoissants.
Dans
le monde artistique de la fin des années 40 et au début des
années 50, les différentes cultures picturales se heurtaient
telles des plaques tectoniques en errance. Les peintres de
paysages, les Impressionnistes, puis tous les artistes figuratifs
se sont bientôt trouvés du mauvais côté de la faille qui les
séparait des tendances de l'Art Moderne. Le Réalisme était
à la mode, l'Expressionnisme Abstrait ne l'était plus du tout.
A cette époque, Flather - tout comme Shadbolt - s'était essayé
à l'Expressionnisme pur, mais ses peintures Surréalistes,
sans aucun horizon, devenaient des configurations colorées
sans fondement qui n'indiquaient rien des sentiments profonds
de l'artiste.
Il est
possible que le caractère hésitant, voire renfermé de Flather
ne puisse l'autoriser à faire autre chose que d'imiter des
styles qui avaient déjà été explorés par ceux qui avaient
auparavant voulu défier les conventions. Ce n'était pas un
innovateur. Ainsi, pendant plus de 40 années, dans son studio
à l'étage supérieur de sa maison, il reproduira plusieurs
fois par semaine, tranquillement, les paysages tirés de ses
photographies prises lors de voyages récents ou les fleurs
de son jardin. Si des amis ou parents venaient le voir, il
leur offrait une peinture. Il en a donné environ 100. A part
cela, il ne disait mot au sujet de sa peinture et de ses amis
peintres. Barrie disait d'ailleurs de son père: "la peinture
était son évasion. Il peignait tout le temps mais n'en parlait
jamais. Il était une énigme pour nous. Il s'exprimait à travers
son art, c'était son échappatoire émotionnelle. Mais il ne
s'est livré aux autres que par ses peintures. "
Sa voisine,
Kay Armstrong, professeur de danse bien connue, qui habita
à côté de chez lui pendant 47 ans, ne se souvient pas de lui
pour sa peinture mais surtout pour sa force créatrice apparemment
inépuisable. Elle pouvait aussi l'entendre jouer d'un instrument
à vent dans son salon... ou parfois du violon. Elle savait
qu'il avait un atelier de poterie très bien équipé dans son
sous-sol de sa maison avec une roue et un four pour faire
de la céramique. Elle pouvait voir les oiseaux-leurres qu'il
avait fabriqués et suspendus dans le jardin à l'arrière de
sa maison dans le but d'attirer de vrais oiseaux. Parfois,
tôt le matin, il se promenait sous son porche en sifflotant,
son appareil photo à la main en quête de traces de rosée sur
une toile d'araignée.
Mais
son passe-temps le plus visible était le jardinage. Autour
de sa maison en stuc qui ressemblait à un petit château, avec
ses cadres de fenêtres tarabiscotés et un petit fronton au-dessus
de sa porte d'entrée principale, Flather a publiquement manifesté
son enthousiasme pour le jardinage avec la même ferveur que
celle déployée pour sa peinture. Derrière la maison, son jardin
était envahi de chrysanthèmes et d'arbres fruitiers. Il était
très fier du pommier sur lequel il avait greffé des rameaux
qui pouvaient produire 35 espèces différentes de pommes !
Des clématites et une glycine s'épanouissaient sur le treillis
- au-dessus des avancées du toit et des fils électriques de
la maison. Dans la rue, il avait secrètement fait un forage
sous le boulevard pour y installer une conduite d'eau dans
le but de créer un jardin sur un terrain abandonné appartenant
à la Compagnie d'Electricité de Colombie Britannique qui se
trouvait de l'autre côté de la rue. Il y fît pousser des légumes
à consommation domestique et des fleurs étranges avec une
telle prolifération que Kay Armstrong avait son lot de produits
frais qui l'attendait tous les matins sur le pas de sa porte
! Grace Flather son épouse, conservait les légumes dans des
bocaux méticuleusement étiquetés. Kay Armstrong ne s'est jamais
douté que Donald Flather faisait sécher et conservait des
fleurs par douzaines dans le style de Georgia O'Keefe.
Kay Armstrong
dit de son voisin de presque un demi de siècle: " Ca n'a aucun
sens de prétendre que c'était un artiste ! Il n'a jamais parlé
de ses peintures - jamais. On les aurait vues s'il avait été
reconnu ! Sa maison en était pleine, elle était même complètement
engorgée ! mais il n'en a jamais parlé…C'était un peu comme
si elles étaient ses bébés. C'était son domaine privé !… "
Lorsqu'il
partit en retraite en 1968, il eût beaucoup plus de temps
pour explorer le vaste territoire canadien qu'il voulait -
comme le firent ses prédécesseurs du Groupe des Sept - décrire
en peinture. Parfois, il se dirigerait au volant de son pick
up Général Motors vers sa ferme de Crispair sur le lac Shuswap
près de Célista en Colombie Britannique, pour photographier
et croquer le verger qu'il y avait fait pousser. Il arrivait
que Flather et son épouse voyagent dans le reste du pays,
collectant des sujets pour de futures toiles. Les Maritimes,
l'Ontario, les Grandes Prairies, les territoires du Nord Ouest,
l'île de Baffin, etc...Donald Flather prenait des milliers
de photographies pendant que son épouse notait, bien inutilement
d'ailleurs, le type et le montant de chaque achat effectué
tout au long de leur périple.
Mais
le Grand Amour de Flather était vraiment la Colombie Britannique.
Comme ses peintures en témoignent après les douzaines de voyages
et d'excursions dans l'arrière pays de cette province. Il
avait une affinité spéciale pour les ocres jaunes de l'automne
avec ses vents légers qui faisaient trembler les saules du
Chilcotin, les lacs et les sommets élevés des Rocheuses, les
troncs mortifiés et les pins de la région de Howe Sound. Les
champs de neige du Nord de l'Okanagan et les reliefs volcaniques
tourmentés du côté de Whistler. Il s'est souvent perdu entre
le romantisme, les modèles de l'Art Nouveau, et ses peintures-clichés.
Il a peint un jeune daim innocent dans une clairière où voletaient
des flocons de neige qui s'accrochaient dans les branches
nues d'osiers roses. Il a peint des couchers du soleil. Il
a peint des plantes fleuries…Et ce, où qu'il aille !
Lorsqu'il
est mort d'un cancer en 1990, cinq de ses paysages ont été
exposés dans l'église de Ryerson. La plupart des personnes
présentes à la cérémonie funéraire n'avaient aucune idée de
tout ce qu'il avait pu peindre tout au long de sa vie…
David
Flather et son oncle Barrie ont alors décidé que la collection
qui était restée caché depuis si longtemps méritait d'être
reconnue par le monde des Arts. Ils ont donc retiré 318 peintures
de la maison de Kerrisdale après la mort de Grace afin de
les mettre en sécurité. Excepté une douzaine de toiles qui
étaient exposées en permanence dans deux galeries d'art de
Colombie Britannique, tout le reste de la collection fût stocké
à côté des milliers de diapositives de Flather, sous de grandes
bâches bleues dans un entrepôt .Au dos de chaque toile, dans
la même écriture scolaire à la craie, Flather a succinctement
raconté l'histoire du tableau. Quand on compare les diapositives
qui l'avaient inspiré avec les toiles finies, on se rend parfaitement
compte que Flather prenait un certain nombre de libertés avec
la réalité.
Il est
aussi très facile de voir quels ont été les styles qui l'ont
influencé. Une de ses toiles intitulée : " Coucher de soleil
sur la côte " (Automne 1979) montre un coucher de soleil très
figé à l'ouest de Howe sur l'île de Anvil avec une série de
nuages coupés au couteau poussés par le vent, silhouettes
acérées se profilant sur un ciel de plomb avec des reflets
argentés sur l'eau qui pourrait tout aussi bien avoir été
peint par Lawren Harris. Une autre appelée : " Les saules
au début du printemps " près du lac Loon est un paysage d'un
gris-vert sinistre composé d'arbres tourmentés et de roseaux
filiformes qui ressemblent beaucoup aux arbres d'Emily Carr
dans sa période la plus surréaliste. Celui qui représente
l'entrée d'un Canyon au sud de la rivière Nahani montre un
nid. Cette toile est d'une grande similitude avec les peintures
de W.P. Weston. Les peintures entreposées semblaient ne pas
avoir été signées, mais lorsque l'on y regardait de près,
le nom de D.M. Flather apparaissait parmi les circonvolutions
du motif en bas à droite de la toile.
Les avis
des experts qui ont vus les photos de ces toiles sont assez
divers. Charlie Hill, Curateur de la Galerie Nationale d'Art
du Canada à Ottawa, estime que Flather était un bon artiste
amateur comme tant d'autres dans le pays, alors que Jack Shadbolt
admire la force qui se dégage de toutes ses peintures.

Photo
de Jack Shabolt et de Grace Flather prise à lors d'un goûter
à la Fédération des Artistes Canadiens chez Bert Binnings
en 1949 -
Le marchand
d'Art de Vancouver, Robert Heffel, ne connaît qu'un seul exemple
d'artiste dont le talent fût découvert post mortem : Van Gogh
! La majorité des artistes peintres - les noms de W.P. Weston
et Emily Carr lui viennent soudain à l'esprit - ne rencontrent
une certaine renommée qu'après leur mort. " C'est un bon peintre,
dit Heffel pendant qu'il examine avec attention les photos
des toiles de Flather. C'est un peintre amateur, mais je ne
peux pas qualifier son travail d'amateurisme." Il croit possible
que Flather lui aussi, puisse être reconnu après sa mort.
Après tout, le travail de W.P. Weston est resté dans l'ombre
pendant plus d'un demi-siècle… Mais lors d'une récente vente
annuelle aux enchères chez Heffel , un paysage de Weston peint
en 1932, intitulé " Jotunheim " représentant les mêmes nuages
marrons déferlants que ceux la toile de Flather peinte en
1972 intitulée " Pulpit Rock " a tout de même été adjugé à
71 500 $ !
Peu importe
que la réputation de Flather en tant qu'artiste subsiste après
que son travail soit enfin connu du public, que les peintures
se vendent ou ne se vendent pas, qu'elles viennent combler
la partie manquante de l'histoire culturelle de la Colombie
Britannique… dit Heffel car " ce qui compte le plus, c'est
ce qu'il a réalisé ! " " D. Flather a peint pendant plus de
50 ans dans l'anonymat le plus complet, jours après jours,
semaines après semaines, mois après mois, années après années
"…Il n'a pas cherché à être accepté, ce qui rend sa passion
encore plus étrange " " Il essayait seulement d'exprimer la
beauté qu'il voyait tout autour de lui ", dit Heffel aujourd'hui
: " Il a peint, juste pour l'Amour de la peinture, et de ce
point de vue, c'est déjà une très belle histoire : c'est vraiment
bien "
De nos
jours, sur le boulevard Kerrisdale Est, l'arbre à Ginko de
Flather a été taillé, mais il continue toujours à laisser
apparaître à sa base des pousses d'un vert vif à chaque printemps.
Ses lilas fleurissent toujours le long de la ligne de chemin
de fer abandonnée. Ses clématites deviennent roses chaque
été et ses pommes mûrissent chaque automne. L'endroit où sa
canalisation clandestine court sous l'herbe du terre-plein
central du boulevard pour aller irriguer son petit jardin
caché de l'autre côté de la route, est toujours entretenu
par les Armstrong - une herbe verte bien irriguée tout au
long de l'année par les infiltrations souterraines. C'est
la même longue histoire que celle de la peinture de Flather
qui se répète : cachée de la vue, calme, féconde, et qui reflète
tous ses rêves.
Translation
courtesy Claudine Boutet - France
Previous Page
Reproduced
by permission of Daniel Wood
|
|